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La mort de Thanassis Valtinos, grande voix de la littérature grecque

Thanassis Valtinos, qui fut l’un des écrivains grecs les plus importants de sa génération et l’un des plus traduits à l’étranger, est mort à Athènes le 30 octobre. Membre puis président, en 2016, de l’Académie d’Athènes (l’équivalent, pour la Grèce, de l’Académie française), il était âgé de 91 ans.
Comme tous les grands, c’était un modeste. En 1998, un jour que nous l’interviewions pour « Le Monde des livres », à Athènes, sur le toit de son appartement, entre les rues Parménide et Empédocle, il nous avait avoué combien était inégal le combat que tout vrai écrivain mène avec la langue. Couler des mots dans une forme inventée, nouvelle à chaque livre, était une passion si tyrannique qu’elle lui laissait souvent « moins une impression de sérénité qu’un cuisant sentiment d’échec ». Avait-il réussi à exprimer ce que ressentait son personnage au plus profond ? Il y avait toujours, selon lui, quelque chose qui échappait. Une eau qui coule entre les doigts.
« Qu’est-ce que la langue en fin de compte ? », faisait-il dire à un personnage dans Bleu nuit presque noir (Hatier, 1992), un texte sur la mémoire où une femme se raconte devant un interlocuteur muet. « C’est un esclavage et pas du tout une chose qui te libère, quoi qu’on en dise, c’est une chose simplement qui te tourmente. Comme la mer (…), elle se débat, enfermée qu’elle est dans ses bords, elle ne peut les franchir car si elle les franchissait, elle submergerait le monde et se perdrait. »
Heureusement, l’humilité et l’élégance de Valtinos n’avaient empêché personne de repérer son talent. En particulier son compatriote le cinéaste Theo Angelopoulos (1935-2012), pour qui il avait coécrit plusieurs scénarios, dont Voyage à Cythère, qui se passe après la dictature des colonels et obtint le Prix du scénario à Cannes en 1984. Les deux hommes avaient fini par se brouiller, mais à travers ses récits, romans et pièces de théâtre – il était le traducteur en grec moderne de tragédies d’Eschyle et d’Euripide – Valtinos avait poursuivi son corps-à-corps avec les mots.
Né le 16 décembre 1932 à Karatoulas, en Arcadie, Thanassis Valtinos était un homme des montagnes, attaché à sa Grèce profonde. C’était là, dans son Péloponnèse, qu’il avait vécu l’Occupation allemande (« J’avais 9 ans en 1941. Je me rappelle la grande famine, les gens qui mouraient comme des mouches. ») Plus tard, il traverse la guerre civile. Il a 16 ans lorsque, en allant fumer dans les bois avec des camarades, il se trouve témoin d’une scène épouvantable. « Un camion est arrivé et a déversé sans nous voir sa cargaison près de nous. C’étaient des corps, des cadavres qui s’entassaient les uns sur les autres et formaient une petite pyramide. Au sommet, comme en accent circonflexe, il y avait une femme. Une partisane. La tête d’un côté, les jambes de l’autre. »
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